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Les États-Unis posent les bases pour une décision de la Cour suprême sur les soins d’affirmation de genre

Le combat juridique autour des droits des personnes trans a drastiquement changé ces dernières années. Voici pourquoi, et ce qui pourrait suivre.

Lisez l’original, traduit de l’anglais (États-Unis) avec l’autorisation de The 19th, sur leur site. Tous les liens dans cet article sont en anglais.

Les juges américains ont passé beaucoup de temps, en 2023, à bloquer des interdictions d’accès aux soins d’affirmation de genre. Prenant le parti des collectifs LGBTQ+ et de protection des droits civiques, ces juges ont martelé qu’interdire les soins d’affirmation de genre est probablement anticonstitutionnel, parce que ça ne respecte pas le 14e amendement de la Constitution des États-Unis qui garantit l’égale protection de tous ceux qui se trouvent sur son territoire. 

Aujourd’hui, la bataille juridique autour des droits des personnes trans s’est transformé dramatiquement. Deux cours d’appel fédérales ont contredit les décisions des juges individuels et avancent que les soins d’affirmation de genre ne sont pas protégés par la constitution. 

Le 14e amendement, qui donnait la citoyenneté américaine aux anciens esclaves noirs au lendemain de la Guerre de sécession, est la fondation de l’essentiel des lois et réglementations du pays sur les droits civiques et contre les discriminations. De nombreuses affaires juridiques essentielles sur la discrimination ethnique et de genre se sont appuyées sur la clause d’égale protection de l’amendement, qui oblige les États à assurer une égale protection pour tou·tes leurs citoyen·nes. La clause d’application régulière de la loi du 14e amendement a été interprétée par les tribunaux comme une protection de droits qui ne sont pas indiqués de façon explicite dans la constitution. 

Ces décisions contradictoires et le débat qu’elles soulèvent sur la protection contre la discrimination basée sur le genre et le 14e amendement pourraient aboutir par l’ouverture d’une affaire sur les droits des personnes trans auprès de la Cour suprême des États-Unis. Voici comment les tribunaux s’y préparent. 

Que disent les tribunaux ? 

La Cour d’appel des États-Unis pour le sixième circuit a affirmé, fin septembre, que les soins d’affirmation de genre pour les mineurs trans doivent rester interdits au Kentucky et au Tennessee tant que les procès les concernant sont en cours. Le onzième circuit a décidé en août, avec un panel de trois juges, que l’Alabama peut interdire les soins d’affirmation de genre. 

Ces décisions s’étendent à tous les États de leurs juridictions. La décision du sixième circuit affecte directement l’Ohio et le Michigan aux côtés du Kentucky et du Tennessee, tandis que la Floride et la Géorgie appartiennent au onzième circuit. 

Ces deux décisions s’appuient sur la décision de la Cour suprême qui a supprimé le droit à l’avortement au niveau fédéral. La décision de la Cour suprême dans l’affaire >Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization estimait que l’accès à l’avortement n’est pas « profondément ancré » dans l’histoire du pays, et n’est donc pas couvert par le 14e amendement. Cette même opinion est maintenant appliquée aux soins d’affirmation de genre.

Les 11e et 6e circuits citent Dobbs et une affaire moins connue pour affirmer que l’interdiction d’accès aux soins d’affirmation de genre ne constituent pas une discrimination sur la base du sexe.

L’argument qui veut que l’interdiction des soins d’affirmation de genre ne soient pas une discrimination basée sur le sexe s’appuie sur une référence faite dans l’affaire Dobbs au dossier Geduldig v. Aiello sur la discrimination due à la grossesse, d’après l’avocat et universitaire Ezra Ishmael Young. Dans l’affaire Geduldig, le tribunal a affirmé qu’exclure les femmes enceintes d’un programme étatique d’assurance n’était pas une discrimination due au genre, mais à une affliction physique.

La référence à cette question dans le cas Dobbs a remis en avant un aspect juridique longtemps ignoré. Le cas Geduldigest considéré comme caduque depuis longtemps par les avocats et universitaires, parce que des affaires plus récentes l’ont directement contredit, explique Young. Mais le juge Samuel Alito, qui a écrit l’opinion majoritaire de Dobbs, s’est appuyé sur Geduldig pour affirmer que l’interdiction d’avorter n’est pas une discrimination liée au genre. 

Maintenant, les demandes d’appel fédérales s’appuient sur Geduldig pour affirmer que les interdictions d’accès aux soins d’affirmation de genre pour les mineur·es trans ne les discriminent pas sur la base de leur genre. 

D’après Young, les militant·es et juristes trans doivent trouver un consensus sur comment gérer l’affaire Geduldig, ainsi que si et comment la discrimination basée sur le genre doit être utilisée pour défendre l’accès aux soins d’affirmation de genre : il serait contre-productif d’avoir trop d’approches différentes pour combattre ces interdictions. Il ajoute qu’il serait utile de regarder à comment les groupes féministes ont appréhendé le paysage juridique après Dobbs.

« Les militant·es pour les droits trans et pour les droits des femmes devraient collaborer de près et essayer de se soutenir mutuellement pour décider de comment on parle de la Constitution, mais ce n’est pas vraiment le cas », déplore-t-il.  

Quel impact pour les États ?

La décision du sixième circuit signifie que les adolescent·es trans au Kentucky et au Tennessee sont privé·es de leurs traitements hormonaux.

L’interdiction des soins d’affirmation de genre au Tennessee inclut une garantie de suivi des traitements déjà commencés jusqu’en mars 2024 en théorie. Mais Sruti Swaminathan, membre de l’équipe juridique de l’association Lambda Legal, affirme que ça ne reflète pas la réalité. Iel remarque que des médecins privent déjà des ados de leurs traitements hormonaux pour éviter une interruption soudaine du traitement au printemps prochain. 

« Concrètement, tout le monde arrête les traitements progressivement d’ici mars 2024 », affirem Swaminathan, qui a aidé à mener la bataille juridique du groupe contre l’interdiction au Tennessee. « Ces jeunes gens vont continuer à souffrir à cause de décisions similaires dans les sixième et onzième circuits. On ne veut pas leur accorder les protections constitutionnelles qui leur sont dues. » 

Pour le moment, l’injonction préliminaire qui empêche l’Alabama d’appliquer son interdiction d’accès aux soins d’affirmation de genre est toujours d’actualité, au moins jusqu’à ce que le onzième circuit accepte ou refuse la demande d’un procès dédié. La loi en Géorgie, qui autorise les jeunes trans déjà sous traitement à continuer ce traitement et qui n’affecte pas l’accès aux bloqueurs de puberté, est déjà appliquée. 

Les tribunaux de deuxième instance fédéraux sont-ils unanimes sur les questions trans ? 

Les décisions des cours d’appel fédérales n’ont pas forcément été hostiles aux personnes trans ces dernières années, et elles n’ont pas toujours considéré que le quatorzième amendement ne s’appliquait pas aux personnes trans. 

En août, la Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit a confirmé une suspension qui interdit à l’Idaho de limiter l’accès des élèves trans aux équipes sportives scolaires. Un panel de trois juges du neuvième circuit a décidé que parce que l’interdiction de pratique sportive violait probablement le quatorzième amendement, le juge local n’avait pas abusé de son pouvoir en bloquant l’interdiction. 

Le quatrième circuit a pour sa part estimé l’an dernier que l’American with Disabilities Act (Loi relative aux Américains handicapés) s’applique aussi aux personnes souffrant de dysphorie de genre. Il en a déduit qu’une loi excluant les personnes souffrant de dysphorie de genre ou de troubles de l’identité de genre serait une loi discriminatoire envers les personnes trans, qui sont donc une classe protégée. Ceci implique aussi des protections assurées par le quatorzième amendement et sa clause d’égale protection, comme l’a indiqué la juge Diana Gribbon Motz dans le rapport final. 

De plus, le 8e circuit a soutenu un tribunal local qui bloquait la loi d’interdiction d’accès aux soins d’affirmation de genre en Arkansas. Dans ce cas précis, les familles des jeunes personnes trans ont porté plainte en affirmant que l’interdiction émise par l’Arkansas violait le 14e amendement en faisant une discrimination basée sur le genre et sur le statut de personne transgenre, et violait également le premier amendement qui assure la liberté d’expression. 

Plus récemment, le 11e circuit ̵a soutenu un tribunal local qui bloquait l’application de la loi d’interdiction du drag en Floride. Ce cas s’appuie essentiellement sur la liberté d’expression.

D’autres discussions sont encore en cours. 

Aujourd’hui même, le quatrième circuit ̵étudie des questions sur l’assurance maladie payée par le gouvernement et couvrant les soins d’affirmation de genre pour les adultes : un cas s’applique à la mutuelle des fonctionnaires de Caroline du Nord, l’autre consiste à demander si le Medicaid (équivalent de la sécurité sociale) en Virginie doit couvrir les chirurgie d’affirmation de genre. 

Des juges locaux d’Oklahoma et de ̵Floride ont autorisé des restrictions à l’accès aux soins d’affirmation de genre, citant les décisions des sixième et onzième circuit. En Oklahoma, un État qui n’est pas obligé de se soumettre aux décisions précédentes de ces deux circuits, une interdiction de soins pour les personnes mineures est à nouveau mis en place. En Floride, un juge a permis à une restriction des soins pour les adultes de rester appliquée.

La Cour suprême va-t-elle réfléchir aux droits des personnes trans ? 

La Cour suprême des États-Unis, qui a récemment ̵commencé un nouveau mandat, a refusé il y a peu de s’impliquer dans plusieurs affaires en rapport avec les droits des personnes trans. Mais pour les avocats transgenres, tôt ou tard, on finira par avoir un procès sur les droits trans mené par la Cour suprême. 

« À un moment, il vont bien devoir accepter un procès où on leur demande : est-ce que le quatorzième amendement protège les personnes trans, et si oui, de quelle façon ? » affirme Young. « La vraie question, c’est de connaître le contexte de cette question. Ce sera peut-être le côté médical, mais peut-être pas, et ça peut ou non être au sujet des mineur·es trans. » 

D’après Young, un procès au sujet de l’accès aux soins d’affirmation de genre pour les mineur·es trans pourrait tout à fait remonter jusqu’à la Cour suprême, puisque de nombreuses lois anti-trans s’y attaquent spécifiquement. De nombreux procès à ce sujet sont en cours, mais en sont encore à leurs toutes premières étapes. On en est encore à des batailles contre des premières décisions et à des efforts pour empêcher les lois d’être appliquées tant que les procès ne sont pas finis : on est encore bien loin d’une décision juridique finale. 

Swaminathan peut aussi imaginer un cas en rapport avec les droits des personnes trans atterrir sur le bureau de la Cour suprême, mais iel doute de la question précise qui serait étudiée, que ce soit l’accès aux soins, aux toilettes ou aux sports en milieu scolaire. 

« Vu le nombre d’opinions contradictoires et d’interprétations différentes de l’égale protection en cas de discrimination basée sur le genre, je pense qu’il y aura un dossier traité par la Cour suprême, peut-être pas pendant ce mandat, peut-être pendant le prochain. »

La Cour suprême a refusé d’intervenir dans des procès récents au sujet de l’accès d’une élève trans à des toilettes et de ̵l’implication d’une élève trans dans des sports collectifs à l’école, permettant aux défenseur·ses des droits trans de gagner ces procès. L’inaction de ces juges a protégé des cas qui étendent la couverture de l’Americans with Disabilities act aux personnes souffrant de dysphorie de genre. 

Anya Marino, directrice de l’égalité LGBTQI au sein du National Women’s Law Center, est inquiète : les rumeurs et spéculations sur comment la Cour suprême traiterait un cas sur les droits des personnes trans peuvent faire paniquer des personnes trans qui souffrent déjà d’une période extrêmement anxiogène et de ̵plus en plus d’attaques politiciennes. Cela dit, elle estime elle aussi qu’il est probable que la Cour suprême finisse par se pencher sur le sujet. 

Les personnes trans qui suivent ces procès et s’inquiètent ont raison d’avoir peur, mais Marino veut leur rappeler qu’il y a toujours de la force et du courage dans le fait de vivre de façon authentique et d’être qui nous sommes. 

« Chaque jour où nous osons vivre de façon authentique, sans nous excuser, est une preuve de courage. C’est aussi un acte de foi : nos vies ont un sens. Et c’est un acte de rébellion contre ceux qui nous veulent du mal. Ne perdez pas espoir. Dans le mouvement, tout le monde fait tout son possible pour vous soutenir », conclut-elle. 

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Alex

Alex a 29 ans et se reconnaît dans les termes trans, transmasc, butch et non-binaire. Il préfère le pronom "il" en français.

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