Son canapé
Le lieu : son canapé défraîchi.
Le genre : tout ce qu’Elle veut.
Je ne peux pas explorer la géographie de mon genre sans vous parler de son canapé. Tant pis pour les lieux français et mon rêve de guide de voyage, il faut d’abord que je vous parle d’Elle. Que j’en profite pour me présenter, qu’on puisse se débarrasser de tout ça et passer ensuite aux choses sérieuses ; vous me pardonnerez, je l’espère, mon excès de sentimentalité.
Je ne me remettrai jamais d’avoir compris ma transidentité après les confinements, plutôt que de passer cette année à tester des nouvelles choses dans l’environnement sécurisé de mon appartement. Mais au moins, il y avait l’environnement sécurisé de la Perfide Albion.
Parce que voilà : Elle est anglaise. Vous ne l’avez jamais vue, mais vous le sauriez en voyant les cheveux bouclés et les taches de rousseur qui ornent Son visage. Il y avait une faute dans son passeport, un problème de prénom, un M malvenu dans une petite case dont on n’aurait jamais dû avoir besoin. Surtout, le passeport avait expiré. Alors c’est moi qui suis allé la voir.
On était amis avant ça. Pas particulièrement proches, mais c’était une amie d’Internet, le genre à qui on expose toutes ses pensées les plus intimes à longueur de journée mais dont on connaît à peine le nom de famille. J’ai appris le nom de sa ville quand on s’est avoué nos sentiments mutuels. C’est stupide, non ? Un jour, alors que les restrictions de voyage étaient toujours aussi dures, on s’est pris un logement à Londres et on s’est assis sur notre premier canapé.
À la simple évocation de ce canapé noir, j’ai mal aux fesses. (Non, pas comme ça.) Je sentais sous mes cuisses une barre en métal à peine couverte par un coussin. C’était le pire canapé que j’aie vu de ma vie. Mais Elle était assise à côté de moi et je suis tombé instantanément amoureux d’Elle. C’est-à-dire que je savais qu’Elle me plaisait, mais je me demandais si je pouvais vraiment aimer une personne que j’avais à peine rencontrée. Une personne trans, qui plus est – j’essayais de me dire déconstruit et éduqué, mais à l’époque, je me posais sincèrement la question. Je lui ai dit que c’était notre première rencontre, qu’il allait peut-être me falloir du temps, que je ne savais pas si j’étais prêt pour cette relation. Et puis Elle est venue me chercher à la gare, je l’ai vue, j’ai souri, et je l’ai embrassée. J’espère que je n’oublierai jamais ce moment où j’ai compris que je m’étais inquiété pour rien. Que j’allais l’aimer, plus que tout ce que j’avais imaginé jusque-là.
Je me souviens que le deuxième jour, Elle m’a tenu le visage, légèrement soulevé le menton, et m’a dit : “Tu sais, en face de moi, je vois un garçon.” J’y repense aujourd’hui et j’en oublie de respirer.
Bien sûr, Elle savait que je me posais des questions, Elle n’aurait jamais dit ça si Elle ne savait pas que ça m’aiderait. Je ne pense pas que je m’étais un jour franchement demandé si j’étais capable d’être un homme. J’avais les cheveux courts, d’accord, mais c’était tout, non ?
Elle voyait un garçon. Avec le temps, je suis devenu son “book boy“, son garçon aux livres.
Sur ce même canapé, Elle m’a demandé, plus tard, si je voulais essayer un nom. J’ai dit oui, bien sûr, Alex, s’il te plaît, c’est un peu comme mon vrai nom, ça ne me fera pas trop bizarre.
Elle a soufflé “Bonjour, Alex”.
Pendant un an, on est allés chez Elle. Loin de ce logement de fortune dont le seul avantage était sa proximité de King’s Cross en pleine pandémie. Pendant un an, j’ai appris les petites particularités de son appartement. J’ai passé un an à me plaindre de son canapé, le genre de canapé où on s’enfonce et on n’arrive plus jamais à se relever, en velours caca d’oie dégueulasse fourni par un proprio désobligeant. Si j’avais su qu’un jour je n’y serais plus le bienvenu, j’aurais chéri ce canapé. Pendant un an, j’ai su que quand Elle me regardait, Elle voyait Alexandre, l’homme que personne d’autre ne percevait. Je pouvais dire aux autres “appelez-moi Alexandre, je suis trans”, c’était dans ses yeux à Elle que j’étais un homme. Son homme tout du moins.
Avec le temps, j’ai décidé d’avancer publiquement. Je pense sincèrement que la transidentité, c’est une de ces choses dont on n’a aucun moyen de s’assurer si on n’a pas essayé. Quand j’ai fait mon coming-out au travail, entre deux crises d’angoisse de type “mais et si je suis cisgenre et je dois annuler et je passe pour un imbécile ???”, je n’ai jamais été aussi heureux que quand j’ai reçu les accusés de réception. Je pense que c’est seulement à ce moment-là que j’ai su que je ne suis pas une femme. C’était risqué, mais c’était nécessaire. Je ne sais pas où le chemin me poussera ensuite, mais je ne trouve plus ça aussi important qu’à l’époque.
Ces réflexions, je les ai eues sur son canapé. Elle ne m’a jamais poussé. Mais parfois, quand en plein après-midi j’étais submergé par la terreur de m’être menti à moi-même, d’être allé trop loin, de “non, non, je suis juste très lesbienne”, de “je ne veux jamais être perçu comme la menace qu’est un homme”, il me suffisait d’un regard vers Elle, assise sur le canapé, pour me souvenir que tout ira bien.
Et maintenant : tout ira bien.
Si vous connaissez un endroit trans-friendly en région parisienne, un seul, de n’importe quel type, publiez-le en commentaire de cet article ! J’ai cruellement besoin d’idées et en plus, je ne vous traque pas : vos commentaires sont mon seul indicateur que mes articles sont lus !.
Pfiou, il est beau ce texte !
Le seul lieu qui me vient en tête c’est la librairie Les Mots à la Bouche rue Saint-Ambroise, juste parce que je leur ai demandé de changer le prénom sur ma carte de fidélité au tout début du moment où je commençais à utiliser mon prénom et la personne m’a souri, dit oui bien sûr, là par contre sur le ticket de caisse ce sera encore votre ancien prénom mais après ça ce sera Ariel, regardez, et ça m’a fait du bien.
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PS : “je chouine sur mon ex” ce tag est parfait
Ehehe dès que j’aurai un peu plus de place dans mon étagère de livres à lire, je ferai une visite, c’est un des premiers endroits que je compte visiter ! (Vu que le prochain article sera sur la médiathèque, ce blog sera soudain un blog de GROS NERD mais c’est rien, on s’adapte). Trop cool pour ton anecdote, ça fait toujours tellement plaisir de vivre ça !
(krkrkr content que le tag te plaise)
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