Lieux de service

La médiathèque Glarner à Saint-Ouen


Le lieu : Médiathèque Glarner, 43 avenue du Capitaine Glarner, 93400 Saint-Ouen-sur-Seine.
Le genre : “Oh, c’est vous ! Bonjour Monsieur !”

J’ai découvert cette toute petite antenne des Médiathèques Plaine Commune complètement par hasard ; je voulais aller à la bibliothèque depuis un moment, mais je trouvais la principale de Saint-Ouen trop loin de chez moi.

La médiathèque Glarner, il faut la mériter pour la visiter. Derrière un portail affichant des horaires d’ouverture caricaturaux, un petit jardin, et dans ce petit jardin, quelques marches en pierre mènent à une lourde porte de bois. Fermée, toujours fermée.

L’hiver dernier, j’ai poussé cette porte.

J’ai toujours aimé les bibliothèques ; les livres sont mes compagnons de fortune et d’infortune, ils ne m’ont jamais déçu. 

Celle-ci ne fait pas exception. Dans cette maison ornée de dorures tape-à-l’œil, il n’y a pas de place pour beaucoup de choses ; une table avec les nouveautés du moment, des étagères de BD. L’encadrement d’une porte, voisin d’un présentoir d’une demi-douzaine de recommandations des bibliothécaires, puis un salon plein d’étagères, si étriqué qu’on y passe à peine avec un sac à dos. Et une autre petite pièce, enfin, réservée aux polars. Il paraît qu’à l’étage, on trouve le coin enfants. Je n’y suis jamais allé – j’aime le mystère d’une porte jamais ouverte. (Et j’ai une flemme monumentale de monter les escaliers.)

Quand j’ai mis les pieds dans cette bibliothèque pour la première fois, je venais de me décider : j’allais être Alexandre. Ce qui veut dire que j’avais besoin de dire que j’étais Alexandre. Beaucoup moins marrant, d’un coup. Voilà donc votre cher Alex, se faisant tout petit derrière le Plexiglas (covid oblige) et avançant d’un filet de voix que “mon nom d’usage est Alexandre”, prêt à tout expliquer à grands coups de captures d’écran d’endroits où je m’appelle Alexandre même si ce n’est pas le nom de ma facture d’électricité. Pas une question, pas un regard. Il me tend ma carte et me laisse partir. Voilà une épreuve de réussie. À mon retour à la maison, je raconte ça à ma coloc, qui en déduit, sûre d’elle : “oui, je pense que tous les bibliothécaires sont morts à l’intérieur, de toute façon”. Une théorie comme une autre.

(Note pour toute personne dans le même cas : c’est tout simple de changer son prénom chez EDF, faites-le, ça m’a mis moins de 5 minutes et j’ai encore mon vieux nom sur notre box Internet pour avoir un justificatif de domicile de chaque.)

Deuxième visite à la médiathèque. Je m’attends à revoir le jeune homme. Il n’est pas là ; à la place, une femme manifestement plus âgée, avec qui je discute en cherchant mon bonheur dans les rayons après avoir récupéré ma commande. Après deux ou trois madame, je prends mon courage à deux mains : “Par contre, je suis désolé… mais euh… désolé… c’est monsieur… désolé…” annoncé-je avec toute l’assurance qui me caractérise. Regard confus, une longue seconde de silence. Et puis la dame me répond : “Ah. Bon ben monsieur, alors.”

Elle me raconte que la médiathèque pourrait fermer d’un jour à l’autre : c’est une toute petite annexe, les gens préfèrent la médiathèque principale à côté de la mairie, ici ils veulent démolir et mettre des appartements à la place alors les stocks sont mal renouvelés. “S’il vous plaît, réservez bien les livres pour ici et venez les chercher ici, c’est la seule chose qui nous garde ouverts”, me demande-t-elle. Le catalogue des Médiathèques Plaine Commune étant assez gigantesque, je recommande à tout le lectorat de la région de bien regarder l’antenne la plus proche et de s’appuyer sur les réservations au lieu de se déplacer dans les grands bâtiments, ça vaut le coup !

Troisième visite à la médiathèque. “Bonjour mada… ah mais c’est vous ! Bonjour monsieur !” me salue-t-elle avec un grand sourire. Je ne sais pas comment, mais je me retiens d’exploser de joie (ou en larmes, je ne sais jamais vraiment ce qui va sortir sur ce genre de situation). Nous discutons encore, tranquillement. J’emprunte, comme toujours, plus de livres que je ne peux en lire.

Quatrième visite. Elle lève les yeux. “Bonjour, monsieur ! Vous allez bien ?” me demande-t-elle, et cette fois, elle n’a pas hésité un instant. Je retrouve ce que je n’avais pas vécu depuis le collège, ce moment où j’entre dans un domaine qui est mien, où je peux passer du temps avec les livres que j’aime et interagir avec une personne en qui j’ai confiance.

La médiathèque Glarner, cette toute petite maison à l’entrée austère et à la toute petite collection où la bibliothécaire fait, de son propre aveu, “ce qu’on peut avec pas grand-chose”, c’est l’endroit où j’ai pu présenter mon genre pour la première fois à des inconnu·es et récolter un vrai effort, assorti d’un sourire, pour me genrer correctement. C’est un peu chez moi, alors.

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Alex

Alex a 29 ans et se reconnaît dans les termes trans, transmasc, butch et non-binaire. Il préfère le pronom "il" en français.

7 réflexions sur “La médiathèque Glarner à Saint-Ouen

  • Ohlala c’est si doux 🥰

    J’aime beaucoup la façon dont tu racontes ça !

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  • 😍 Comme tu l'as bien écrit et comme j'ai envie de la voir cette si chouette bibliothèque.

    • Merci beaucoup, je suis très content que ça t’ait donné envie !

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  • Merci beaucoup pour ce très beau récit qui me donne envie de retourner dans ma petite bibliothèque de petite ville et prendre les livres dont j’ai envie plutôt que ceux que j’aurai le temps de lire (peau de chagrin).
    Et puis surtout ça me rappelle qu’il y a des gens qui font du bien parfois 🙂 le merci c’est pour tout ça et pour les émotions des mots.

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    • Merci à toi pour ton gentil commentaire, ça m’a fait plaisir de te lire et si je peux t’encourager à mettre les pieds dans ta bibliothèque municipale, alors j’en suis doublement ravi !

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  • Ping : 📚 Donjons et dramas, Théo Kotenka | Un genre à soi

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